Le polygraphe, un moyen fiable pour boucler l’enquête ?

Le détecteur de mensonge est le fantasme de tout enquêteur. Depuis des siècles, les hommes ont cherché par tous les moyens de mettre au point cet appareil qui permettrait de savoir si l’accusé ment ou dit la vérité.  Depuis la fin du XIX ème siècle, le polygraphe a été mis au point et malgré des résultats fiables, ce détecteur de mensonge ne constitue une preuve qu’aux yeux de quelques systèmes juridiques. Alors pourquoi le polygraphe ne convainc-t-il pas ? Comment fonctionne-t-il et en quoi reste-t-il un instrument relativement fiable ?

Tout cela vous le découvrirez dans ce nouvel article.

Le détecteur de mensonge pouvant constituer une preuve aux Etats-Unis, mieux vaut éviter de le rater / content.tigerfitness.com

Le détecteur de mensonge pouvant constituer une preuve aux Etats-Unis, mieux vaut éviter de le rater / content.tigerfitness.com

Pouvoir distinguer la vérité du mensonge en se basant sur des phénomènes physiologiques n’est pas une idée récente. En Chine, 2000 ans avant l’ère commune, les suspects devaient mettre dans la bouffe quelques grains de riz secs. Si les grains restaient secs, l’accusé était convaincu de mensonge car on pensait que mentir empêchait la salivation. Ce système fut repris au Moyen Âge, la farine remplaçant le riz.

Les savants italiens au secours de la vérité

Cesare Ombroso, le premier homme a avoir utilisé les détecteurs de mensonge lors d'un interrogatoire.

Cesare Ombroso, le premier homme a avoir utilisé les détecteurs de mensonge lors d’un interrogatoire.

Quelques siècles plus tard, l’idée de pouvoir cerner à coup sûr le mensonge dans les propos d’un suspect est reprise par les scientifiques italiens. En 1878, Angelo Mosso utilise un pléthysmographe afin de mesurer les changements cardiovasculaires et respiratoires en cas de stress du suspect. Mais cet appareil n’a été utilisé que dans le cadre de ses recherches sur la peur et les émotions et n’a donc jamais servi lors d’un interrogatoire.

Il faut attendre 1895 pour la première utilisation d’un instrument lors d’une confrontation en salle d’interrogatoire. Cesare Lombroso, criminologue, médecin et écrivain italien, modifie un hydrosphygmographe pour mesurer la pression sanguine et le pouls d’une personne interrogée. Bien qu’il n’ait pas inventé l’hydrosphygmographe, Lombroso est considéré comme le premier homme a l’avoir utilisé pour déceler la vérité dans un contexte criminel.

Le polygraphe fait son apparition en Amérique du Nord

Ce n’est qu’en 1921 qu’est créé le premier polygraphe. En se basant sur le travail de l’avocat américain William Marston six ans auparavant, le psychologue canadien John A. Larson met au point un instrument capable d’enregistrer la fréquence respiratoire et la pression sanguine.

Le père du polygraphe, John Augustus Larson

Le père du polygraphe, John Augustus Larson

L’appareil étant capable de mesurer deux réponses psychologiques et de les retranscrire sur un tambour rotatif est nommé « polygraphe » (« plusieurs écrits » en grec).

Employé par le Service de Police de Berkeley, en Californie, John A. Larson fut la première personne à mesurer les variantes respiratoires, le rythme cardiaque et la pression sanguine d’un individu lors d’un interrogatoire de police. Son collègue Leonarde Keeler, nommé ainsi en hommage à Leonard de Vinci, améliora l’appareil pour permettre, quatre ans plus tard, d’obtenir un polygraphe à encre, bien plus facile d’utilisation.

La grande avancée dans la polygraphe est également à l’initiative de Leonarde Keeler qui, en 1938, intégra à l’instrument une composante pour calculer la résistance de la peau, le psycho-galvanomètre. Cette nouvelle mesure physiologique marqua la naissance du polygraphe tel que nous le connaissons.

Des instruments toujours plus fiables…

Aujourd’hui, de nouveaux moyens de détection du mensonge ont vu le jour. Mesure du timbre de la voie, micro-expressions, analyse verbal (quels mots ont été employés) ou encore langage corporel, toutes les techniques sont bonnes pour identifier un individu qui ment. La plus spectaculaire n’est autre que l’imagerie par résonance magnétique ou IRM fonctionnelle. Cette technique permet de voir quelles régions du cerveau sont activées, le nombre de zones activées différant si la personne ment ou dit la vérité.

Grâce à l'IRM on se rend compte que l'individu ment à droite, l'activité du cortex pré-frontal étant inhabituelle / integrationenphysique.blogspot.fr

Grâce à l’IRM on se rend compte que l’individu ment à droite, l’activité du cortex pré-frontal étant inhabituelle / integrationenphysique.blogspot.fr

… mais pas assez pour la justice

À l’exception du polygraphe et de l’étude des micro-expressions, ces outils ne sont jamais utilisées par la police car on les estime peu fiables.

Le tout premier polygraphe mis au point par John A. Larson et Leonarde Keeler / samedi.centerblog.net

Le tout premier polygraphe mis au point par John A. Larson et Leonarde Keeler / samedi.centerblog.net

Leur fonctionnement étant basé sur les réactions physiologiques, les instruments de détection du mensonge peuvent se laisser berner par un individu particulièrement stoïque ou au contraire déclarer qu’un individu émotif ou en état de choc ment.

Un autre argument vient gêner l’utilisation du polygraphes et de ses dérivées, c’est l’aura qui l’entoure. La quasi-totalité des systèmes juridiques fonctionnent grâce à un jury composé de plusieurs personnes. L’usage d’instruments destinés à cerner le vérité ferait voler en éclat ces systèmes pour composer à lui seul le jury. De plus l’interprétation des données polygraphiques, ou d’un autre appareil, doivent être interprétées par un spécialiste qui, comme tous les êtres humains, est influençable et ne rendra pas forcement le même jugement en fonction de ce qu’il pense lui.

Les détecteurs de mensonge ont beaucoup bénéficié du développement de l'informatique / businessinsider.com

Les détecteurs de mensonge ont beaucoup bénéficié du développement de l’informatique / businessinsider.com

En France, les instruments liés à la détection du mensonge n’ont aucune valeur légale et ne sont donc pas utilisés lors des interrogatoires. Au Canada, où le polygraphe a vu le jour, ces appareils peuvent servir de preuve mais uniquement lorsqu’il n’est pas question de réclusion pour le suspect. C’est aux Etats-Unis que le polygraphe a énormément servi jusqu’à un arrêt de la Cour Suprême en 1998 stipulant que, de par sa nature et son aura d’infaillibilité, le polygraphe peut diminuer le rôle des jurés et les influencer. Employé jusque là dans les affaires criminelles et civiles, le polygraphe ne sert désormais qu’à obtenir les derniers éléments d’une enquête quand tous les indices coïncident.

Ainsi les détecteurs de mensonge existent, ils sont utilisés en contexte criminel dans certains pays mais l’enjeu est trop grand pour s’en remettre uniquement à eux. Pourtant devant les demandes incessantes de très nombreux polygraphistes, il est possible, quoique très improbable, qu’un jour les détecteurs de mensonge servent massivement lors d’enquêtes criminelles. Cela permettrait de boucler une affaire en très peu de temps, ou de condamner un innocent à la peine maximale…

Thomas Sainjon

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